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La boulimie et son traitement

6 septembre 2021

Dans cet article, je vous propose à la lecture une partie de mon mémoire de validation du module 2 de l’AFTCC. Il traite du cadre théorique autour du fonctionnement et du traitement de la boulimie en Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC). Ce texte n’est pas exhaustif quant aux nombreuses conceptualisations de ce trouble et il ne fait qu’effleurer les axes de la psychothérapie le concernant. De plus, il est très général et ne permet pas de constater à quel point chaque prise en charge est différente. La mise en place du travail thérapeutique se fait en collaboration et démarre toujours de la demande du/de la patient-e, et d’une analyse pointue de son fonctionnement (appelé analyse fonctionnelle).

La boulimie est une des formes des troubles du comportement alimentaire (TCA), c’est un trouble fréquent avec une prévalence sur 12 mois de 1,5% chez les jeunes femmes. Le taux est plus faible chez les hommes (sex-ratio de 1 homme pour 10 femmes). Boulimie et anorexie mentale relèvent de facteurs génétiques mais aussi culturels et psychosociaux. Notamment a été retrouvé comme facteurs : la naissance après 1960 et une image idéale du corps fluet (Kendler, 1991). La boulimie s’accompagne à 95,4 % d’un autre trouble psychologique (Hudson JI, 2007). Les diagnostics de troubles du comportement alimentaire (TCA) sont souvent associés au trouble de la personnalité borderline (21-28%), les troubles dépressifs caractérisés (36-73%) et les abus de substances (30-37%) (Godart, 2008).
Les troubles du comportement alimentaire se déclarent généralement entre 13-14 ans et 16-17 ans. En plus de cette prévalence en temps normal, le confinement de la dernière année a eu des effets néfastes sur le bien-être psychologique, notamment une diminution du sentiment de contrôle, un sentiment accru d’isolement social, une rumination accrue sur les troubles alimentaires et un faible sentiment de soutien social. Ce qui a augmenté la prévalence des troubles mentaux en général et des TCA en particulier dans la population générale (Branley-Bell D, 2020).

La caractéristique centrale de la boulimie est la survenue d’épisodes récurrents d’accès hyperphagiques, qui se défini par l’absorption, en une période de temps limité, d’une quantité de nourriture largement supérieure à ce que la plupart des gens mangeraient dans une période similaire et dans les mêmes circonstances avec un sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant l’épisode, suivis de comportements compensatoires inappropriés récurrents visant à prévenir la prise de poids tels que : vomissements provoqués, emplois abusifs de laxatifs, diurétiques ou autre médicaments, jeûne, exercice physique excessif…
Lorsque l’on parle de troubles du comportement alimentaire, Le DSM-V, classification la plus utilisée dans ces recherches, a tendance à caractériser principalement les états pathologiques avérés, tels que l’hyperphagie, la boulimie ou l’anorexie, c’est-à-dire les formes symptomatiques majeures, organisées et relativement stables. Cependant, il existe toute une déclinaison possible de ces troubles sans pour autant tomber dans la pathologie. C’est pourquoi certains chercheurs (Hay et Fairburn, 1998) ont changés d’approche des troubles du comportement alimentaire et les représentent comme un continuum du normal au pathologique (c’est-à-dire selon un aspect dimensionnel) plutôt que sur un mode catégoriel qui serait réducteur.

De nombreuses études tentent encore aujourd’hui de comprendre les mécanismes psychologiques impliqués dans les troubles du comportement alimentaire et plus particulièrement la boulimie. Certaines recherches font un parallèle entre la boulimie- hyperphagie et les addictions. Il est possible que les mêmes circuits de récompense, les circuits dopaminergiques, y soient impliqués. Ainsi cela reviendrait à représenter un nouveau phénomène, l’addiction à l’alimentation, qui peut être aussi un phénomène distinct des troubles de l’alimentation établi tels que la boulimie mentale ou l’hyperphagie boulimique. Cette question est cependant toujours en discussion et d’autres études sont nécessaires (Hauck C, 2019). Le frein principal étant de considérer comme une addiction avec substance quelque chose dont l’être humain a besoin pour survivre : la nourriture. De plus, en prenant le modèle théorique de l’addiction,  le premier levier d’action devient le sevrage ou la diminution de consommation de la substance. Mais de quelle substance parle-t-on ? du saccharose ? des produits hyper-transformés ? du chlorure de sodium ? Ce qui peut, en ce qui concerne la boulimie, mener à encore plus de contrôle alimentaire difficile à tenir sur le long terme.

Une autre approche des troubles du comportement alimentaire peut se faire par l’abord de la restriction cognitive, démocratisé par l’association GROS (Groupe de Réflexion autour de l’Obésité et du Surpoids). Le GROS se centre sur le traitement de la restriction cognitive pour aider les personnes en surpoids et en obésité. La restriction cognitive commence lorsque la personne a comme objectif de maigrir et a une intention de contrôler consciemment et rationnellement son comportement alimentaire. Cela entraine la personne à privilégier les cognitions à la place de son état interne, ce qui crée un comportement de restriction qui court-circuite les signaux de faim et de satiété. À long terme, une forte restriction alimentaire serait à l’origine de fluctuations pondérales importantes, à cause de l’alternance de périodes de régime strict interrompues par des phases de perte de contrôle et d’hyperphagie.
Face à un patient en restriction cognitive, la première tâche est de lui permettre de retrouver un comportement alimentaire guidé par ses préférences alimentaires, ses systèmes de régulation physiologiques de faim et de rassasiement. Cette approche se centre donc sur les sensations alimentaires comme régulatrice du comportement alimentaire (APFELDORFER, 2001).

La boulimie a été modélisée sous un angle cognitivo-comportemental par Fairburn en 1997. Cette modélisation permet de comprendre les mécanismes impliqués dans le développement et le maintien des symptômes dans la boulimie. Ils permettent aussi de percevoir différents leviers afin de permettre la résolution du trouble.

Modélisation de la boulimie

Le premier levier est d’agir sur la restriction cognitive et alimentaire. Le second levier est de mettre au jour, s’il y a, ce qu’on appelle l’alimentation émotionnelle. C’est lorsque la personne répond par un comportement alimentaire à un problème non alimentaire (ex : stress, problèmes relationnels …). Le troisième levier est l’acceptation de soi sans honte et sans crainte de stigmatisation. Ce qui va amener à ne plus rattacher l’image corporelle à l’estime de soi. L’objectif est d’amener le patient à écouter ses sensations alimentaires (faim, satiété, rassasiement, plaisir). Manger en écoutant ses sensations amènera le poids à une stabilisation au poids d’équilibre. La psychothérapie et notamment les Thérapies Cognitivo – Comportementales (TCC) ont prouvé leur efficacité dans le traitement de la boulimie, (Linardon.J, 2017 ; Hay PJ, 2009) et plus particulièrement les thérapies individuelles et les guides de « self help » orienté en thérapie cognitivo-comportementale (Slade E, 2018).

Un traitement pharmacologique mis en place par un psychiatre peut également être conseillé, surtout si une dépression est associée à la boulimie. Les antidépresseurs sont les médicaments classiques conseillés dans la boulimie et la dépression (ex : le prozac). Il peut, en effet, être nécessaire de donner une forte dose de sérotonine, ce qui aide dans le même temps à contrôler les pulsions. De plus, la dénutrition dans la boulimie est un facteur qui favorise la dépression. Une méta analyse récente conclut : « La plupart des interventions psychologiques et pharmacologiques se sont révélées efficaces dans le traitement de la Boulimie. Compte tenu de la taille de l’effet, de la durabilité de l’intervention, ainsi que de la cohérence des résultats et des preuves disponibles, la TCC peut être recommandée comme la meilleure intervention pour le traitement initial de la boulimie » (traduction libre) (Svaldi J, 2019). La pharmacologie pourrait donc venir en seconde intention, si la boulimie résiste à la psychothérapie TCC.

Certaines techniques de TCC sont particulièrement efficaces pour le traitement de la boulimie : la psychoéducation prime sur tous ces différents plans, pour aider l’individu à se réapproprier son comportement alimentaire et à comprendre son fonctionnement.
Sur le plan comportemental, il peut être mis en place un travail sur la restriction cognitive avec si besoin des phases d’exposition à certains aliments « interdits », un travail d’affirmation de soi sera aussi souvent nécessaire, et le plus important, un travail sur les sensations et les comportements alimentaires à l’aide d’un journal de bord.
Sur le plan cognitif peut être mis au jour les nombreuses pensées et croyances dysfonctionnelles liées au poids, à son image corporelle, aux aliments, à l’estime de soi, au jugement des autres. Elles peuvent être travaillées grâce à la restructuration cognitive.
Sur le plan émotionnel, un travail sur l’alimentation émotionnelle est possible via notamment la relaxation et l’accueil des émotions.

Depuis plusieurs années, on assiste à l’émergence de techniques de pleine conscience. Une méta-analyse de 2020 (Sala M) montre que la pleine conscience est associée négativement aux troubles du comportement alimentaire. Les associations étaient les plus fortes pour la frénésie alimentaire, l’alimentation émotionnelle et l’insatisfaction corporelle. Cela montre qu’un travail comportemental sur la pleine conscience durant l’acte de s’alimenter peut venir agir directement sur le trouble. Les données sont en faveur d’une efficacité de cette technique et l’introduction de l’alimentation en pleine conscience peut être un levier intéressant.

A la fin de la prise en charge, un volet prévention de la rechute est primordial. Il sera par exemple important d’amener le patient à normaliser la présence de symptômes occasionnels, d’identifier les facteurs de risque à la rechute et d’identifier les stratégies de maintien des acquis.

Vous l’avez compris, des recherches sont encore nécessaire afin de mieux connaitre ce trouble et son traitement. Avant d’envisager la prise en charge d’une problématique, une attention particulière doit systématiquement cibler la question des diagnostics différentiels car il y a la possibilité que les difficultés soit majorées par un autre trouble, ou bien qu’une comorbidité soit prioritaire dans le traitement (exemple classique de la dépression).
C’est pourquoi ils doivent être pris en charge par un professionnel de santé formé à repérer les différents troubles et qui peut vous réorienter le cas échéant (médecin généraliste, psychiatre ou psychologue). Si vous vous sentez concerné par les Troubles du Comportement Alimentaire et souhaitez aller mieux, je propose des prises en charge en Thérapie Cognitivo-Comportementale et suis en cours de formation à l’AFTCC.  Vous pouvez trouver sur mon site l’ensemble des informations pour prendre rendez-vous avec moi.

Bibliographie :

  • APFELDORFER Gérard, ZERMATI Jean-Philippe. La restriction cognitive face à l’obésité, histoire des idées, description clinique. La Presse Médicale, 2001, 30, 32, 1575-1580
  • Branley-Bell D, Talbot CV. Exploring the impact of the COVID-19 pandemic and UK lockdown on individuals with experience of eating disorders. J Eat Disord. 2020 Aug 31;8:44. doi: 10.1186/s40337-020-00319-y. PMID: 32874585; PMCID: PMC7444862.
  • Godart NT, Perdereau F, Jeammet Ph, Flament MF . Cormorbidité des troubles du comportement alimentaire et des troubles anxieux – 17/02/08 Doi : ENC-4-2005-31-2-0013-7006-101019-200520016
  • Hauck C, Cook B, Ellrott T. Food addiction, eating addiction and eating disorders. Proc Nutr Soc. 2020 Feb;79(1):103-112. doi: 10.1017/S0029665119001162. Epub 2019 Nov 20. PMID: 31744566.
  • Hay PJ, Bacaltchuk J, Stefano S. Psychotherapy for bulimia nervosa and binging. Cochrane Database Syst Rev. 2004;(3):CD000562. doi: 10.1002/14651858.CD000562.pub2. Update in: Cochrane Database Syst Rev. 2009;(4):CD000562. PMID: 15266434.
  • Hay, P., & Fairburn, C.G. (1998). The validity of the DSM-IV scheme for classifying bulimic disorders. International Journal of Eating Disorders, 23, 7–15
  • Hudson JI, Hiripi E, Jr HGP, Kessler RC. « The Prevalence and Correlates of Eating Disorders in the National Comorbidity Survey Replication » Biol Psychiatry2007;61(3):348–58.
  • Sala M, Shankar Ram S, Vanzhula IA, Levinson CA. Mindfulness and eating disorder psychopathology: A meta-analysis. Int J Eat Disord. 2020 Jun;53(6):834-851. doi: 10.1002/eat.23247. Epub 2020 Feb 25. PMID: 32100320.
  • Slade E, Keeney E, Mavranezouli I, Dias S, Fou L, Stockton S, Saxon L, Waller G, Turner H, Serpell L, Fairburn CG, Kendall T. Treatments for bulimia nervosa: a network meta-analysis. Psychol Med. 2018 Dec;48(16):2629-2636. doi: 10.1017/S0033291718001071. Epub 2018 May 6. PMID: 29729686
  • Svaldi J, Schmitz F, Baur J, Hartmann AS, Legenbauer T, Thaler C, von Wietersheim J, de Zwaan M, Tuschen-Caffier B. Efficacy of psychotherapies and pharmacotherapies for Bulimia nervosa. Psychol Med. 2019 Apr;49(6):898-910. doi: 10.1017/S0033291718003525. Epub 2018 Dec 5. PMID: 30514412.